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11/08/13 – Et la lumière fut…
Il aurait fallu raconter depuis le début…
En plus du matériel solaire, avaient été chargées sur le boutre huit belles tôles couleur sable. Pour couvrir la « maison solaire » devant abriter les batteries et servir de support aux plaques.
Car le compte à rebours, lancé en début de mois, se déroulait maintenant comme une bande de magnéto folle, en fin de rembobinage. De France, l’Installateur avait confirmé les dates de sa venue. Chaque soir, nous contemplions, dubitatifs et légèrement angoissés, la montée des murs, le coulage du ciment, la pose de la charpente… Arriverions-nous, n’y arriverions-nous pas… Depuis le mois d’août 2011 où les bornes posées nous avaient ouvert la voie de cette aventure, nous ne cessions d’enchaîner les urgences, toujours dans la précipitation, toujours dans l’affolement d’une commande à placer, d’une mise de fonds à prévoir. Cette fois-ci, nous nous étions trop fiés aux lenteurs proverbiales des dédouanements. Il fallait mettre les bouchées doubles.
Ce qui signifiait, en premier lieu, de ne plus laisser les ouvriers rentrer chez eux pour le repas de midi et revenir, d’un grand pas nonchalant, après la sieste.
Lorsque le toussotement du Gardien avait signalé, dans une discrétion feinte, qu’il était temps pour lui de regagner sa case, sur notre véranda côté nord, s’installait la cantine.
Sur la natte déroulée, au centre du cercle des cuillères, de nos vieilles assiettes de camping dépareillées, la Rieuse et la Jeune dame déposaient le bac en plastique blanc contenant la montagne de riz, les marmites de poissons, les assiettées de friture… Ils s’asseyaient là, jambes étendues, dos à l’équerre. Commençaient alors les bavardages, les rires, tout un chahut chaleureux de jeunes gens pour qui la vie, tout compte fait, parait avant tout douce. Seul le Contremaître, assis bien au nord, gardait une certaine réserve. Pour marquer sa fonction ou de nous savoir à portée de voix, sur l’autre façade ? La Rieuse et l’Aide s’interpellaient de gloussements, l’Intérim relançait, mezza voce, d’une plaisanterie glissée en confidence.
Lorsqu’à l’interruption des rires, je devinai le repas lancé, je venais les saluer d’un rituel « Bon appétit, Messieurs dames ». Après quelques répétitions extrêmement gaies, ils savaient dorénavant y répondre par le non moins rituel : « Bon appétit, Madame ». Venait ensuite le « Voulez-vous boire quelque chose ? », destiné à la formation des Jeunes filles. Ma précipitation feinte à enchaîner par un « De l’eau ! » péremptoire – l’Intérim, plus syndicaliste et facétieux que les autres, n’ayant pas manqué la première fois de demander de la bière – les faisait hurler de rire. Jour après jour.
300 gr de riz (cru) par personne et il n’y avait pas de reste. Quant au loaka, point n’était besoin d’abondance s’il était riche en bouillon. Le ragoût de têtes, notamment de cabot, tout en gueule, était un festin dont ils me réservaient une part, tout étonnés et joyeux de me voir partager leur goût.
La dernière bouchée avalée, le Contremaître se levait, suivi bon gré mal gré par ses aides. Parfois, la nuit était déjà tombé qu’ils ferraillaient encore, coulaient les dernières couches de ciment à la lueur d’un lampadaire de salon débarrassé de son abat-jour. Lorsque le Veilleur, venant prendre sa garde de nuit, arrivait assez tôt, il saisissait, d’entraide, la pelle ou la truelle.
Si le soir venant, la marée haute nous coupait du village, la traversée de la lagune en pirogue était une nouvelle occasion de rires et de chahut, surtout si y étaient mêlées les Jeunes filles, jouant les coquettes avec une bonhommie tranquille.
Ces instants-là étaient un souffle frais qui dissipait les menaces d’orages, les inquiétudes d’aube quand rien ne semble jamais pouvoir trouver son équilibre. Leur gaieté à tous, leur entrain, leur bonne volonté, dans un grand élan brutal et parfois désordonné, était un scintillement émotionnel qui toujours m’inciterait à prendre leur parti contre certaines aigreurs de mes compatriotes. Effet de jeunesse ? Pas seulement. Joie du Bon sauvage ? Ni bons, ni sauvages, simplement et profondément inscrits dans l’instant, à peine projeté jusqu’au lendemain. De cela, certes découle le meilleur comme le pire. Le meilleur, je le dégustai comme une tranche de miel tout juste extrait de la ruche.
« Inch Allah », le boutre devait approcher. Ma légèreté, d’un seul coup, me coupai le souffle. Confier un tel investissement à une coque de bois ? Me fier au vent, aux vagues ? Croire que l’enseignement des frères bretons, décennie après décennie, perdurait dans la solidité des nouvelles goélettes ?
Le Veilleur, sentencieux lorsqu’il s’agit de décrypter l’humeur de la mer, me rassurait :
« Ce soir, Madame, il sera là. »
La moindre voile blanche, à l’horizon, nous jetait sur les jumelles. Et finalement, l’un d’eux dit :
« C’est notre boutre » en pointant du doigt vers l’horizon.
Ntsika, le nôtre, à nous tous, ensemble. Comment l’avaient-ils reconnu ?

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